Le choix des mots, confrontation au réel : retours volontaires, visites domiciliaires, une politique ferme mais humaine

Voici un mot du préfet de l’Athénée Royal d’Ixelles, qui tourne sur les réseaux sociaux, avec une demande de le diffuser :

“Une élève de 6 ième de notre école a pu bénéficier durant des années d’un visa pour raisons médicales et a pu, dès lors, suivre sa scolarité en Belgique.
Elle est aujourd’hui majeure et ne bénéficie plus de ce visa; elle est donc en situation irrégulière d’après les services gouvernementaux.
Messieurs Michel et Vrancken, dans votre approche humaine de la gestion des sans papiers, pourquoi :
– l’avertir en plein milieu de sa rétho, qu’elle doit quitter le territoire et finir ses études secondaires ailleurs.
– venir l’arrêter en pleine nuit chez l’ oncle qui l’a prise à sa charge, sans expliquer que cette démarche pouvait être contrée et contestée.
– l’amener, par deux fois, à l’aéroport de Zaventem, l’isoler pendant quatre heures dans le froid, pour finir par essayer de lui faire signer un “document de départ volontaire” puisque l’avion l’attend et la ramener au centre fermé suite à son refus de le faire.
– suite à un incendie accidentel, laisser les occupants, de 22 heures à 6 heures du matin, dans le froid sur une pelouse humide, debout sans rien.
Quelle est la valeur d’un acte s’il est obtenu par la contrainte, la pression ou la torture morale ?
Humain ?
Est-ce possible en 2018 en Belgique ? »

Les retours volontaires…

Ceci est un exemple des conditions dans lesquelles peuvent être mises les personnes pour leur faire signer un “retour volontaire”.
Nous parlons ici d’une personne scolarisée en Belgique depuis des années.
C’est d’ailleurs ce qui permet que cette situation peut être rendue publique.
La grande majorité des personnes signant un « retour volontaire » ne sont pas dans ce cas : elles n’ont pas, ou presque, de contact avec l’extérieur une fois enfermées dans les prisons appelées centres fermés.
Elles sont enfermées, invisibilisées, anonymisées et les avocats ont du mal à entrer en contact avec elles.
Lorsque des témoignages sortent (1), il est plus que fréquent d’apprendre que les personnes ont été mises à l’isolement, que les personnes que l’on appelle encore « assistant.e.s sociaux.ales » exercent une pression psychologique sur elles afin de les décourager et de leur faire « accepter » de signer un « retour volontaire ». Des témoignages de menaces, de traitements dégradants et humiliants, de contraintes physiques ne sont pas rares non plus. Tous ces comportements tendent à mettre les personnes dans un état psychologique particulier, qui cherche à sortir à tout prix de la situation violente du moment présent, quitte à signer un papier pour que ça s’arrête, quitte à le regretter plus tard.
Combien de “retours volontaires” sont signés dans un état empêchant tout choix objectif ?

L’Office des Étrangers a besoin de statistiques concernant ces « retours volontaires ».
Affirmer que ça marche. Que lorsqu’on propose aux personnes sans papier de rentrer chez elles un nombre non négligeable l’accepte.
Ça leur permet de faire des rapports, des statistiques, des dossiers, des graphiques, de belles affiches à coller dans les administrations, les centres,…
Ça leur permet de faire passer le message que d’autres le font, le choisissent.
Ça leur permet surtout de faire passer publiquement l’idée que nombre de personnes sans papier sont finalement contentes de rentrer « chez elles », qu’elles estiment que la Belgique n’est pas l’eldorado fantasmé et qu’elles étaient mieux « chez elles ».
Au final, cela permet d’instiller cette idée dans la population qui ne connaît pas le dessous des cartes.
Si une personne de tel pays accepte volontairement (ce qui peut sous-entendre qu’elle est demandeuse) de retourner dans ce pays, pourquoi les autres personnes de ce pays refuseraient-elles d’y retourner également ? Et on arrive vite sur les fantasmes de personnes qui ne fuient pas des conditions de vie de souffrance, mais qui viendraient pour des raisons dépendantes de notre pays ou des raisons de guerre religieuse ou culturelle (comme de bénéficier de notre système social, de remplacer notre culture par la leur,… ).

Le choix des mots :

“Retour volontaire”, “visites domiciliaires”, “collaboration”,… le sens des mots est de plus en plus falsifié, détourné.
Les « retours volontaires » peuvent être signés sous la pression et la contrainte.
Les « visites domiciliaires » sont en réalité des perquisitions (entrée de force dans le domicile, fouille en règle tant du domicile que des affaires personnelles,… ).
Une politique définie par ceux qui l’appliquent comme étant « ferme mais humaine », ne signifie en fait rien d’autre qu’une auto légitimation d’un déplacement de limite.
Ces expressions ont une portée sur la manière de regarder ce qui nous entoure et sont des éléments dans nos grilles d’analyse pour décrypter ce qui s’y passe.
Biaiser les expressions permet de biaiser la réalité.
C’est entre autre avec ce genre de processus que dans l’esprit de certain.e.s les personnes qui aident ou hébergent des personnes sans papier deviennent des « collabos ». Raisonnement au final logique lorsque la parole dominante se rapproche de la parole alarmiste et raciste (immigration économique de masse, envahissement, remplacement de culture, risque de mise en faillite du système social, dépenses publiques déraisonnées,… ). Le fait que de plus en plus de personnalités ayant un « statut public » tiennent ces positions leur donne de la légitimité. Le risque étant qu’une masse critique de personnes y croient, vivent dans cette réalité.
De nouvelles lois plus en cohérence avec cette réalité peuvent alors passer.

Actuellement, nous pouvons dire que la propagande d’État s’en rapproche de plus en plus : comparer le parc Maximilien (quelques centaines de personnes) avec la situation à Calais (2) (près de 15000 personnes), affirmer comme De Wever qu’accueillir des réfugié.e.s mettrait fin à la sécurité sociale (et que donc le choix c’est elleux ou nous, alors que le projet politique de l’actuel gouvernement consiste, d’une part, à déconstruire l’État social et, d’autre part, à raffermir l’État pénal, utilisant pour cela la désignation d’un groupe stigmatisé qui recueillera toutes les craintes et angoisses que la déconstruction de l’État social ne manque pas de produire) (3), affirmer comme Francken au Cercle de Lorraine ce 30 janvier que les populations musulmanes et africaines sont responsables du réchauffement climatique comme des instabilités politiques (4),… les sorties politiques sont à relier entre elles, parce qu’elles participent toutes à donner une vision du monde à travers une grille de lecture unique.

Et dans un temps de crises sociales, économiques et environnementales, il est bien plus facile pour certain.e.s de se laisser convaincre à croire que « la faute en revient aux autres », de saisir et s’approprier les paroles de personnes légitimées par un « statut » (5), de se considérer comme « résistant » se battant pour sa liberté, sa culture et/ou ses conditions de vie.
De la même manière qu’il est plus facile d’affirmer que la colonisation est terminée et de nier toutes les conséquences positives que nous en tirons, comme toutes les conséquences négatives pour les populations locales.
La peur.
La peur de perdre notre degré de confort (et beaucoup confondent la richesse du monde occidental avec leur propre richesse et capacité individuelle à l’épanouissement) peut amener à chercher un ennemi extérieur, celui qui s’apprêterait à « nous » déposséder de ce que « nous » avons construit et acquis. Extérieur parce que venant hors du corps social tel que défini par des frontières (une supposée culture statique, une économie qui lui est bénéfique) et non par une situation de classe (qui elle permettrait une solidarité face aux dominants). Extérieur parce que la question se pose de les “intégrer”, de leur permettre donc de venir “à l’intérieur”, parmi nous (et dans cette vision au sein de notre culture supposée statique, de notre économie qui nous est bénéfique).
Un ennemi plus faible, parce que plus facile à combattre que le système économique érigé comme existant de fait, une base naturelle à laquelle nous serions soumis.es et à partir de laquelle nous devrions adapter, ou vu comme trop énorme que pour avoir la moindre prise pour s’y attaquer (sa victoire étant ainsi considérée comme définitive).
C’est dans la mise en place de ce processus d’analyser le monde en terme de défense des intérêts au sein d’un territoire donné (et non entre personnes subissant les oppressions des mêmes oppresseurs) que se forme l’esprit nationaliste.

Heureusement, cette propagande d’État, et ses actes de plus en plus violents tant envers des individus qu’envers l’idée de liberté, ne passe pas si facilement. De plus en plus nombreuses sont les personnes qui sortent du silence (personnes du monde académique, artistique et culturel, de la société civile,… ), de plus en plus nombreuses sont les personnes “anonymes” qui agissent contre l’État, dont elles voient les failles tout en ne lui reconnaissant plus de légitimité.
La lutte, la rébellion, pour la protection des personnes sans papier, les plus fragilisées et vulnérables, prend de l’ampleur et commencent à s’y rattacher les luttes d’autres personnes oppressées et mises en danger par l’État (les personnes sans emploi, les personnes hanicapées, les personnes à l’emploi précaire,… (6)).

Nous ne pouvons que soutenir toute personne agissant, toute initiative, individuelle ou collective, qui participe à reprendre conscience du pouvoir collectif face à la machine qui exclut, écrase et tente d’annihiler la conscience du pouvoir de s’y opposer.
Autant il est important d’aider, protéger, face à une urgence humanitaire, autant il est important de désobéir aux lois racistes et liberticides, autant il est important de déconstruire les discours qui se veulent dominants avant qu’ils ne nous dominent.

La lutte est dans les esprits autant que sur le terrain.

 

1. Si vous connaissez des personnes sans papier, surtout si elles sont en centre fermé, ou si elles connaissent des personnes qui le sont, donnez-leur les coordonnées de Getting The Voice, dites-leur qu’elles peuvent témoigner de ce qu’il se passe dans les centres, que c’est important que la réalité remplace l’imaginaire.

2. Le terme même de « jungle » qui a été utilisé pour les camps de personnes sans papier à Calais, et est devenu, par le discours médiatique, une expression utilisée par tou.te.s, renvoie à un imaginaire linguistique qui définit les camps de Calais, dans un imaginaire collectif, comme un endroit sauvage, soumis à la loi de la « jungle », celle du plus fort. La « jungle de Calais » ça fait penser à la saleté, à la violence, au chaos, à la pire sauvagerie humaine. Les personnes qui y vivent ne sont pas comme nous.

3. « C’est ce projet politique que les interventions permanentes de Theo Francken révèlent. Sa formule “sans une sécurité sévère, pas de douce sécurité sociale” doit se récrire “grâce une sécurité sévère et une stigmatisation, on peut déconstruire la sécurité sociale en douce”. »
« Theo Francken est donc le révélateur impitoyable du gouvernement fédéral actuel et de la nature de sa politique : sous la coupe de la N-Va soutenue par le MR, elle ressortit non seulement au “national-libéralisme”, comme le dit Edouard Delruelle, mais surtout elle se veut national anti-socialiste. »
Ici

4. Pour Francken, la liste est longue : création d’une police spéciale pour les immigrés, vérification des GSM et tablettes des demandeurs d’asile pour se prémunir des mensonges que, selon lui et sans aucune preuve, 60 à 70 %, d’entre eux proféreraient sur leur identité , ré-enfermement des mineurs, identification au faciès de ressortissants par la “police” soudanaise… Le comble est atteint avec l’accusation de complicité des ONG en matière de noyade de réfugiés et avec la criminalisation de ceux qui aident concrètement des personnes en détresse.

5. Avoir un statut n’étant pas spécialement être reconnu par ses pairs pour la pertinence des positions. Nous entendons ici par « personnes ayant un statut », des personnes à qui l’on donne un statut. Ce sont particulièrement les médias qui ont ce rôle de choisir quel individu ils mettent en avant, à quelle fréquence. Le fait de ne reproduire qu’une dépêche Belga ou des déclarations sans les mettre en situation, sans relever les erreurs, mensonges,… participent à la mise en place de personnes de « référence » sur certains sujets.

6. À ce propos, un arrêté royal vient d’être pris concernant les personnes handicapées : celles ayant un emploi sous contrat d’adaptation professionnelle ne cotiseront plus pour la sécurité sociale. Pas de chômage, pas d’indemnités maladie, pas d’allocations familiales pour les salariés, pas de pension,…
Ici

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