Balancetoncollabo : Génération Identitaire entre novlangue et peur des mouvements solidaires

ÉDIT 22 janvier :

Nous ne sommes pas les seul.e.s à nous intéresser à ce site.

Suite à d’autres recherches, il semblerait que notre hypothèse concernant Génération Identitaire soit fausse.

Si tel est le cas, nous nous en excusons.

(auprès de nos lectrices et lecteurs, non de Génération Identitaire)

Nous laissons cet article en ligne le temps d’y voir plus clair.

Soit, mais cela semble de moins en moins probable, nous avons affaire à un autre groupe d’extrême droite et le décryptage langagier reste pertinent, soit nous sommes face à un « fake » dont l’objectif pourrait être de reprendre le langage d’extrême droite afin de pousser à l’indignation.

(cela à la veille du débat parlementaire sur un projet de loi de perquisition de personnes hébergeants des personnes sans papiers, mouvement de solidarité qui reste une entrave aux projets gouvernementaux et vis-à-vis duquel divers acteurs peuvent être tentés de faire de l’intimidation de différentes manières).

Fin de l’édit

L’article :

Au plus les gouvernements s’approprient les thèses d’extrême droite et les mettent en place, au plus l’extême droite se sent pousser des ailles. Banalisation de la parole publique raciste et agressive, attaques de lieux de vie de personnes sans-papiers, passages à tabac de personnes d’origine étrangère (ou considérées comme telles) et de militant.e.s, manifestations dont l’objectif est d’attaquer des habitats et commerces considérés « d’étrangers »,… jusqu’à louer un bâteau pour aller en mer et prétendre tenter d’y empêcher les sauvetages de migrant.e.s en danger direct de noyade.

Une des dernières sorties en date : un site appelant à la délation des personnes venant en aide aux personnes sans-papiers. Cela à l’heure où la Belgique se penche sur une loi autorisant les perquisitions dans les domiciles d’hébergeants, voulant clairement par là s’attaquer au mouvement de solidarité (dont l’ampleur ne fait que grandir), et où la solidarité est un déli en France.

Décryptons leur langage :

1ère phrase :
“Au nom de notre liberté de nous défendre contre un État défaillant et des associations qui ont pris le pouvoir sur notre volonté de protection de nos valeurs”
→ nous n’avons pas affaire ici à un appel face à un prétendu “envahissement”, que l’on retrouve dans le racisme et l’islamophobie primaires, mais bien une volonté stratégique de pousser les états à durcir encore plus leurs politiques migratoires, en les accusant d’être à la solde des associations d’aide et de soutien aux personnes migrantes.
C’est le passage à un autre stade de pression politique.
Plus les états iront loin et plus il y aura de personnes qui se mettront en action pour venir en aide aux personnes réprimées. L’extrême droite l’a bien compris et désigne donc ces personnes comme un ennemi à part entière.

“nous lançons ce site internet dans le but de récolter des informations sur des personnes travaillant aux côtés des passeurs et des trafiquants d’êtres humains.”
→ plus besoin d’être un acteur “légal” pour se légitimer dans la récolte d’informations. Ce site mise sur le fait que la première partie de la phrase lui donne toute légitimité pour agir.
Alors que ce site se propose de « faire le travail à la place de l’état défaillant », nous ne pourrons qu’en rire : ce sont actuellement des milliers de personnes qui, chaque jour et de plus en plus nombreuses et déterminées, pallient aux manquements des états. Manquements stratégiques (et non budgétaires), électorialistes (afin d’attirer l’électorat d’extrême droite), idéologiques (parce que oui, des racistes sont à des postes de pouvoir, mais aussi par tentative de mettre la population en concurrence et de la diviser à l’heure où la casse sociale prend de la vitesse),… Pas vraiment des manquements donc…
Là où nos néofascistes proposent d’agir cachés derrière des écrans, saluons tout.e.s celles et ceux qui prennent de leur temps, énergie, argent,… pour agir contre leurs « dirigeants ».
Là où nos néofascistes proposent de faire le travail à la place d’un état défaillant dans une perspective autoritaire et répressive, saluons tou.te.s celles et ceux qui le font dans une perspective de recherche de liberté pour tou.te.s et de solidarité directe.

Il n’est fait mention à ce stade du texte que “des passeurs et des trafiquants d’êtres humains” : tentative également de légitimer son action, les termes de passeurs et de trafiquants ayant une connotation négative dans les esprits (personnes qui profitent de la misère humaine pour se faire du pognon).

2ième phrase :
« Le formulaire ci-dessous vous permettra de signaler aux autorités une personne ou un groupe qui héberge, transporte ou participe à l’introduction dans nos pays de clandestins. »

-> alors que les cerveaux viennent d’enregistrer les ressentis négatifs suite à “passeurs et trafiquants”, un formulaire de délation est directement proposé. Délation, pourtant, de personnes ou groupes qui ne profitent pas de la misère humaine pour se faire du pognon, mais font au contraire les choix d’aider et de protéger des personnes en situation de détresse. Gratuitement. Sur leurs propres deniers.

La suite de la phrase tente donc d’étendre cette notion de “profit sur le dos de la misère humaine” aux personnes qui hébergent OU aux personnes qui transportent OU participent aux passages de frontières.
Le “ou” et non le “et” n’est pas anodin puisqu’il permet d’associer les aides que l’on pourrait appeller “aides solidaires autonomes et spontanées (tout en étant de plus en plus organisées)” à l’image et au rôle des méchants passeurs et trafiquants. L’objectif est clairement de s’attaquer non pas aux passeurs et trafiquants tels que vus et revus dans les médias (et qui se trouvent sur les chemins de migration hors Europe) mais bien aux personnes agissant pour une aide et protection directe dans les pays où cette extrême droite se trouve.
Le nombre de personnes aidant les migrant.e.s à passer la frontière Italie-France augmente chaque jour, à mesure que les températures baissent et que les flics ferment des passages, les obligeant à franchir des cols toujours plus hauts, plus dangereux (combien de morts risque-t-on de retrouver à la fonte des neiges ?).
Il en est de même pour les personnes distribuant des repas, hébergeant et véhiculant des migrant.e.s au Parc Maximilien à Bruxelles : leur mouvement prend place dans le temps, s’organise et dépasse les objectifs de base d’aide directe (manifestations, appel à rassemblement au parc les jours où des rafles sont annoncées, décryptage de la propagande gouvernememtale,… un réel rapport force est en train de naître).

Ces personnes, dans le langage fasciste, deviennent des “passeurs et trafiquants”.
Et, comme le nom du site l’annonce, hébergeus.euses, transporteurs.euses et franchisseurs.euses de cols deviennent des “collabos”.

Au-delà du fait qu’ils détournent un slogan à visée émancipatrice de personnes opprimées par le patriarcat (#balancetonporc) pour alimenter une idéologie qui justement refuse les principes de consentement et d’autonomie pour les femmes, ils font usage de la novlangue (manipuler les gens en détournant la signification des mots) en utilisant un concept lié à la résistance (lutter contre les “collabos” nazis).

En essayant de mélanger ainsi les concepts, de manipuler le sens des mots afin de les relier à un nouvel imaginaire dénaturé (et de rendre cet imaginire collectif), l’objectif ne peut être que de transformer la vision du monde, d’interchanger les systèmes de valeurs. Voici la proposition des néofascistes : désigner les personnes qui aident et protègent les personnes sans papiers comme des “traîtres à leur patrie (blanche, homogène, xénophobe,.. )”.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, fasse à cette mobilisation d’ampleur (qui prend plusieurs formes, dont une manifestation récente pour dégager Francken et son gouvernement chéri) Jambon préfère désormais mettre en avant dans le language utilisé les trafiquants d’être humains, passeurs et autres “contrebandiers”. C’est une tentative de relégitimer son action face à la résistance et de brouiller les cartes.

(Rappelons que, en Belgique, il n’y a aucune loi qui interdit d’aider des personnes migrantes. Et s’il y en avant, il faudrait y désobéir)

Ce n’est pas étonnant que les fachos décident d’accroitre leur attention sur ces personnes solidaires. Elles sont l’antithèse de leur projet de société (où tout le monde à peur de cet “autre” fantasmé) et le meilleur rampart à leurs mouvements xénophobes. Lorsque la population se met en mouvement, même lorsque les “gouvernants” portent des politiques mortifères, l’extrême-droite est tout simplement désarmée et elle en est consciente.
L’ampleur du mouvement en fait sans doute une cible.
Et si ce site n’est qu’un fantasme balbutiant, nous pouvons nous questionner sur l’entièreté du fantasme de ses auteurs : s’ils en avaient les moyens, ne doutons pas qu’au-delà de récolter des informations, ils s’occuperaient eux-mêmes de punir, à leur façon, les personnes solidaires. Voyant qu’ils fixent eux-mêmes les critères de ce que serait “la traîtrise envers la patrie”, nul doute que ces critères se renforceraient avec leur pouvoir et que le spectre de leur cible s’élargirait : glissement de la personne sans papiers à la personne considérée “étrangère”, des militant.e.s No Border aux syndicats, des personnes qui hébergent aux personnes qui vont dans des commerces considérés “étrangers”,…

Et plus qu’à réellement récolter des informations, cette initiative sert à établir une pression vis-à-vis des personnes qui ont déjà passé le cap de l’aide et la protection comme vis-à-vis de celles qui sont tentées de les rejoindre. Elle sert également à tenter un retournement du discours et – donc – des repaires entre “l’humain” et le “collabo”

3ième et 4ième phrases :
“Les formulaires seront traités par nos soins puis transmis aux autorités compétentes.
Nous vous remercions de votre soutien dans cette lutte pour la survie de notre civilisation européenne.”
→ Langage neutre et propre, on pourrait croire que l’on s’apprête à remplir un simple formulaire d’une quelconque administration.
Toujours cette autolégitimisation de recevoir, traiter et transmettre les infos reçues, même si les autorités compétentes apartiennent à l’état défaillant. Le message est donc : gâce à vous nous allons l’aider à faire « son » travail.
La dernière phrase est solennelle, et c’est elle, toujours sur ce ton administratif paraissant neutre, qui veut jouer sur la corde du Devoir patriotique : “la survie de notre civilisation européenne”.

Suit le formulaire, destiné à la France et la Belgique

Le pire pourrait-on se dire, c’est que ce site part de l’a priori que le terrain a été suffisament préparé par des années de propagande (à grande échelle grâce notamment aux médias qui lui ont grand ouvert leurs portes, et aux politiques qui ont chaque jour placé la barre un peu plus haut, par opportunisme électoraliste), pour qu’il lui suffise des simples mots “protection de nos valeurs” pour que tout le monde comprennent de quoi il parle : grand rempacement, islamisation de notre société, et autres fantasmes… Si cet imaginaire est suffisament partagé, alors il sera possible de faire passer les antifascistes pour des collabos et les fascistes pour des résistants.
Orwell se retourne dans sa tombe.

Ce site n’est plus une “simple” expression de racisme et d’islamophobie, mais bien la volonté, par un groupe organisé, de mettre en place pas à pas une logique fasciste dans les esprits et les actes.
Nul besoin d’un site tel que celui-ci pour les personnes désirant assouvir leurs pulsions de délation et pousser à faire de la solidarité active un déli.
Un des objectifs réels de ce site est de normaliser cette délation en la faisant paraître normale, logique, comme “allant de soi” et moralement acceptable. Le petit devoir patriotique que l’on fait en vérifiant une dernière fois ses mails le soir.

C’est également une belle manière de récolter les mails de toutes les petites odures qui participent. Et de pouvoir communiquer avec elles de manière de plus ciblée.
Voire de s’attaquer eux-mêmes aux personnes dénoncées…

Le site se voulait anonyme, mais…

Avouons-le, les auteurs du site maîtrisent leur communication envers leur public.
Mais qui sont-ils ?
Site anonyme.
Pas d’adresse mail.
Pas de nom de collectif ou association.
Pas de logo.

Puisqu’il veut rester anonyme, faisons quelques recherches :

1. Ils anonymisent leur adresse IP (Angleterre, USA,… )

2. En cherchant bien, on peut retrouver des traces, au coeur du site même, de “Génération Identitaire”.
Il semblerait qu’ils aient donc chargé leur logo sur le site avant de se raviser et de préférer – essayer de – rester anonymes.

Ceux-là même qui se sont fait connaître par des mini actions à vocation de créer le buzz.
Ceux-là même qui, en 2017, ont loué un bâteau pour l’opération “Defend Europe” dans le but de saboter les opérations de sauvetage des ONG et de repousser les migrant.e.s vers les côtes lybiennes. Ceux-là même qui se sont ridiculisés tout le long de leur opération, un peu parce qu’ils le font bien seuls, beaucoup grâce aux mobilisations antifascistes tout du long de leur parcours.
(Blog de Yannis Youlountas, pour en savoir plus sur la bérézina identitaire, chassés des ports de plusieurs pays, obligés de se cacher sans posibilité de se ravatiller ni de réparer leur bâteau).

Là encore, leur objectif ne pouvait objectivement être d’accomplir ce qu’ils avaient annoncé. Le plus important était de créer un précédent dans les esprits (on va repousser plutôt que sauver les personnes migrantes en mer) et faire naître l’espoir dans les esprits fachos “que le passage à l’acte était possible”.
Ces fins stratèges doivent s’en mordre les doigts vu que le seul résultat a été de montrer l’ampleur de la solidarité antifasciste, de sa capacité à s’unir par delà les frontières et à riposter.

Le lendemain, ils avaient retiré ses traces d’images non publiées, espérant bien rster anonymes.

« peut-être vaudrait-il mieux arrêter d’essayer d’identifier la résistance, messieurs les collabos ? »

Trop tard !

Nous avons hésité avant de publier cet article. Mais dans la balance entre le risque de faire de la pub à un site facho et l’opportunité de décrypter sa parole tout en révélant son identité qu’il voulait anonyme, nous avons choisi (de plus, même si ce site n’est pas encore repris sur les sites fachos belges – coucou vous avez un article -, il est assez présent sur les réseaux sociaux pour que l’ampleur de sa pub se fasse sans nous, et la presse en a déjà parlé).

Sachant que Génération Indentitaire contrôle très bien sa communication, il est probable qu’ils ont envisagé la possibilité d’être démasqués.
Cela fait même peut-être partie de leur stratégie.
Imaginons que leur initiative fonctionne, qu’un nombre non négligeable de personnes participent. Se faire démasquer alors que leur site est reconnu et devenu une “référence” pour toutes les balances en puissance, ça leur ferait une bonne pub (et leur donnerait une certaine légitimité face à “l’indignation” et aux arguments contre eux).
Non seulement ce type de délation dégueulasse serait passé comme “normal” pour certaines personnes (par le passage à l’acte, contrairement à la pensée isolée), mais en plus leur organisation assiérait sa position dans un univers où l’extrême droite française voit différents groupes se faire une concurrence acharnée. (notons qu’il y a eu plusieurs essais d’amener Génération Identitaire en Belgique, sans réel succès)
Se faire démasquer si vite, par contre, ne devait pas être prévu (ni voulu puisqu’ils ont retiré toutes traces pouvant remonter à eux). C’est donc maintenant qu’il faut leur couper l’herbe sous le pied, alors qu’ils n’auront le soutien que de leurs proches.

Profitons-en pour rappeler qu’il est évident que les états sont défaillants concernant la crise d’accueil des migrant.e.s comme des personnes sans papiers, que cela n’a rien à voir avec un quelconque “grand remplacement” de population mais bien avec le passage à la vitesse supérieure des attaques néolibérales contre les populations. Le capitalisme en crise a toujours été tenté par les voies de l’autoritarisme et du fascisme. Si l’on veut chercher des collabos, on les trouvera là où il y a du fric. Viennent ensuite ceux et celles qui se sont laissé.e.s berner et s’en prennent aux personnes en situation de vulnérabilité plutôt qu’aux puissants !

Nous appellons donc les hackeuses et hackeurs à s’occuper définitivement de ce site de Génération Identitaire.

 

Édit 21 janvier :

Ce samedi 20 janvier, le site a produit un article qui ne fait que confirmer ses positions idéologiques.
Ainsi, ils invitaient à se rendre à Bruxelles ce dimanche, alors que des milliers de personnes se sont retrouvées pour former une chaîne humaine de la Gare du Nord au Parc Maximilien, afin de potéger les personnes migrant.e.s d’une rafle policière de gande ampleur.

« Nous vous invitons également à vous rendre à l’événement belge suivant pour y prendre des photos et récolter de l’information sur ceux qui s’affichent au grand jour comme des trafiquants d’être humains et des destructeurs de notre civilisation et qui seront jugés lors de la libération de notre pays, lorsque les lois seront appliquées et que nous donnerons un coup de balai à ce monde corrompu.
(Envoyez un e-mail à contact@protegetonpays.com si vous désirez un trajet depuis Paris, Lille ou Strasbourg, du co-voiturage est organisé) »

Nul besoin de décrypter cette phrase pour comprendre que ces néofascistes veulent passer à l’acte et cherchent du monde pour les accompagner.

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