Source Bruxelles Zone Antiffasciste
Samedi 17 décembre 2016, la campagne Bruxelles Zone Antifasciste appelait à bloquer le congrès des néo-nazis de l’APF (Alliance for Peace and Freedom). Le rassemblement a mobilisé 100 à 150 personnes dès 10h au Square de Meeûs avant de partir en manifestation sauvage, manifestation qui sera durement réprimée avec environ 60 arrestations. Il nous semble important de revenir sur quelques éléments d’analyse de cette journée, même si l’essentiel des « leçons » politiques que nous devons en tirer doivent se faire en assemblée démocratique où chacun-e peut s’exprimer et prendre position.
Le Congrès « caché » des néo-nazis
L’extrême droite en Belgique comme ailleurs semble de plus en plus certaine de son programme et affirme être du côté des classes populaires. Cependant, lorsqu’elle organise un congrès européen, elle est obligée de conserver secrets le lieu et le détail de ses activités. C’est une pratique courante pour les petites formations fascistes ; c’est plus étonnant pour un parti comme l’APF qui prétend être fréquentable et visible. Ce dernier dépense donc beaucoup d’énergie à se protéger des mobilisations antifascistes. Nation a ainsi servi de Service d’Ordre à l’APF et pendant les jours qui ont précédé le congrès, des militants nationalistes montaient la garde dans les locaux de l’APF par peur d’un sabotage.
Le secret entourant ce congrès a donc compliqué l’organisation de la riposte antifasciste (et c’est bien le but de ce genre de manœuvre). Cependant, un texte publié sur un blog annexe de Nation, destiné à un public plus « militant », avait vendu la mèche quelques jours auparavant. En effet, sur ce blog, un militant de nation affirmait que les locaux de l’APF accueilleraient le congrès.
L’un de leurs militants affirmait ainsi « Hier soir, j’ai monté de garde dans les bureaux de l’APF à Bruxelles. L’APF est une alliance de partis nationalistes d’Europe et dont mon groupe Nation fait partie… […] Ensuite sur le fait que sur toute cette semaine, les volontaires ne se sont pas bousculés…alors que l’enjeu est de taille : empêcher qu’on ne sabote ce local afin que puisse s’y dérouler un congrès ce samedi. »
Il s’agissait peut-être d’un leurre, mais cela semblait suffisamment plausible puisque l’APF affirme depuis avril 2015 que ces locaux sont leur quartier général et ont pour fonction d’accueillir meetings, congrès et autres activités publiques. Si l’APF et Nation sont prêts à publier de fausses informations sur leurs sites, cela signifie dans tous les cas qu’ils craignent profondément les mobilisations antifascistes.
Sans certitude quant au lieu du congrès, peut-être aurions-nous dû réévaluer notre action et être moins ambitieux-ses en appelant à un simple rassemblement.
La Bourgmestre d’Ixelles et la police rentrent dans la danse
Nous avions donc décidé d’appeler à nous rassembler place du Luxembourg (pour ensuite se rendre au congrès) afin d’assurer la sécurité des participant-e-s et éviter un guêpier policier. Cependant, le 15 décembre, nous recevons un message de la police de Bruxelles Capitale Ixelles. En substance, ceux-ci nous annoncent que « suite à la décision de Madame la Bourgmestre d’Ixelles, tout rassemblement ou manifestation à la place du Luxembourg est interdit. Vous êtes invités à vous rassembler au Square de Meeûs, en respectant le règlement général de Police ».
Passons l’interdiction du rassemblement sur la Place du Luxembourg. Renseignements pris, il y avait ce jour-là des activités de Noël sur la place, pas étonnant dès lors que la Bourgmestre Defourny veuille assurer l’ordre économique capitaliste en nous chassant. Plus étonnant en revanche, l’autorisation de se rassembler sur le Square de Meeûs (ce que nous finissons par faire pour éviter un scénario comme à la Bourse en avril 2016, où le rassemblement antifasciste n’avait même pas eu lieu à cause de la répression policière). Les autorités communales/policières étaient-elles au courant du lieu réel du congrès de l’APF ? Aux dernières nouvelles, il semblerait que cette information ait bien été transmise par l’APF aux autorités communales/policières…
Le jour même, le tristement célèbre commissaire Vandersmissen le précisera, nous sommes autorisé-e-s à nous rassembler Square de Meeûs uniquement, toute manifestation est interdite. Il était donc évident que la police avait pour ordre de la Bourgmestre de nous empêcher de partir en manifestation. La pratique du black block opérée par certain-e-s n’est donc certainement pas la cause de la répression particulièrement brutale dont la mobilisation a fait l’objet, contrairement à ce que prétendent les médias. La présence de nombreux flics anti-émeutes, d’une autopompe et de Vandersmissen (et non l’un de ses subordonnés) laissait clairement penser que la police avait pour ordre d’empêcher une manifestation sauvage vers un potentiel autre lieu de congrès.
10H Square de Meeûs
Les manifestant-e-s ont commencé à se rassembler dès 10H et de 100 à 150 personnes ont été dénombrées. La mobilisation dans les milieux libertaires, antifascistes et autogestionnaires était d’ailleurs plutôt réussie. Nous savions que compte tenu du mot d’ordre de blocage nous pourrions compter sur un public essentiellement militant. Et ce fut bien le cas malgré notre volonté de rendre cette mobilisation la plus inclusive possible. Nous avons essayé de combiner un appel volontairement public avec une tentative de bloquer réellement le congrès des néo-nazis. Pour se faire nous avons organisé un briefing mais sans doute cela n’a-t-il pas suffit et à l’avenir il sera nécessaire d’organiser plusieurs espaces de discussion en amont.
Pour cette action, nous avions également essayé de mettre accent sur une mobilisation plus « nationale » et « européenne ». Et de fait, des « délégations » antifascistes néerlandophones, wallonnes ainsi que venant d’autres pays européens avaient fait le déplacement. Sans doute a-t-il manqué de coordination et d’informations pour que ces militant-e-s ne se sentent pas pris-e-s au dépourvu. Nous prenons donc acte de la remarque de l’UEC Strasbourg lorsque les camarades affirment : « Certes, la présence policière devant le siège de l’APF a été à l’origine du départ en manifestation sauvage, mais nous aurions préféré être arrêtés dans la tentative de bloquer le congrès plutôt que dans un cortège ayant perdu son véritable objectif. Une question à réfléchir collectivement avec toutes les forces qui partagent l’objectif de massifier le mouvement antifasciste international à l’heure où la réaction monte en puissance en toute Europe »[1]
Les néo-nazis absents
A l’arrivée des manifestant-e-s à 10h, le local de l’APF était fermé et, dans l’heure qui a suivi le début du rassemblement, nous avons eu confirmation que le congrès aurait lieu plus tard. Il est apparu que malgré les annonces et les fanfaronnades des néo-nazis, le congrès avait été déplacé dans un hôtel bruxellois. Sous le poids de la mobilisation antifasciste ils se sont donc repliés dans un hôtel, caché de tou-te-s. Les flics étaient quant à eux présents pour protéger les locaux de l’APF et nous empêcher de partir en manifestation vers un autre lieu.
Néanmoins, si nous savions que nous serions peut être confronté-e-s à une absence, il nous semblait important de marquer le pas et de nous rassembler près du 22 Square de Meeûs à Ixelles. Car comme nous l’avons déjà affirmé ailleurs, ce sont ces locaux qui permettent aujourd’hui à cette alliance de néo-nazis européens de s’organiser, ces locaux sont une pièce maîtresse dans leur stratégie de développement. Les faire fermer, c’est leur couper l’herbe sous le pied et les empêcher de s’organiser.
Sur le départ en manifestation sauvage
Vers 11h, le rassemblement s’est transformé en manifestation et a rapidement remonté la rue du Luxembourg vers Trône. Trop rapidement parce que dans la précipitation, le bloc de tête n’a pas ou mal été formé. A l’avenir il nous semble indispensable de débattre des questions tactiques collectivement et de les soumettre à la volonté collective au préalable. On ne peut simplement se remettre à la liberté individuelle lorsque certaines pratiques concernent chaque manifestant-e-s surtout quand la répression s’abat de manière indistincte. Ces réflexions doivent aussi prendre en considération l’indispensable solidarité lors des mobilisations.
Cependant, nous assumons notre part de responsabilité. Par manque de préparation et par précipitation, il manquait d’une initiative claire à cette manifestation, ce qui a facilité le travail de la police.
Arrestations et violences
Engagé à tort sur la petite ceinture, le cortège a été pourchassé par les combis de police. Vandersmissen, en tête, a gazé les manifestant-e-s pour les repousser sur la droite de la chaussée, les combis en ont alors profité pour remonter la manifestation par ses arrières et la contourner afin de lui bloquer le passage. Dans cette course, ce que les médias et la police se privent bien de dire, c’est que trois personnes ont été heurtées par des camionnettes de flics. Dans au moins un des cas, il s’agissait d’un acte volontaire puisqu’un combi a ralenti au niveau d’un manifestant avant que le conducteur ne lui assène un coup de portière. Selon des témoins : « pour ce qui est de nos militant-e-s : le premier a été jeté au sol par trois policiers, il a reçu des coups dans les jambes et un policier lui a donné un coup de genou sur le crane alors qu’il était déjà menotté, puis s’est servi de sa genouillère sur sa tête pour le garder au sol ; le deuxième a été jeté au sol à trois reprises et a reçu un coup brutal à la jambe, alors qu’il obtempérait aux ordres de la police et se dirigeait vers le point de rassemblement des personnes arrêtées ; le troisième a reçu un coup de genou dans la colonne vertébrale alors qu’il était déjà immobilisé, D’autres manifestants ont reçu des coups violents après leur immobilisation, notamment des coups de genou et de matraque dans le visage »[2].
D’autres ont reçu des coups de matraque ou saignaient au visage. Un jeune homme s’est vu immobiliser au sol par plusieurs agents, subissant le poids d’un flic sur la colonne vertébrale. Une camarade, probablement heurtée par une camionnette de police souffre d’une fracture du fémur.
Résultat des courses, environ 60 personnes arrêtées qui ont ensuite été colsonnées (avec des SERFLEX) et mises en ligne, assises les unes derrière les autres. Une manifestante témoigne : « C’est là que va commencer une après-midi d’insultes et d’humiliations misogynes, homophobes et racistes. Déjà, un policier passe entre les colonnes, son visage crispé par la haine en criant des « Bande de fils de putes, espèces d’enculés, vous avez que ça à faire hein ? Casser ! Vous êtes bons qu’à ça ! Bande de sales gauchistes, fils de putes ! », On comprend déjà ici le parti prit de ce policier qui ne nous étonne plus, je perçois à ce moment-là un dialogue entre une arrêtée, qui à encore le courage d’essayer de convaincre la police, et un policier lui répondant un classique « Je ne suis pas contre l’extrême droite car je suis pour la liberté d’expression. ». Pour parler de nous les flics disent « là, c’est les sales gonzesses » en le répétant plusieurs fois car ça à l’air de les faire rire.
Les hommes se font en premier embarquer dans les fourgons quelque peu brusquement, à ce moment un policier se penche vers nous et nous dit d’une voix mielleuse « Ne vous inquiétez pas, on sera plus délicat avec vous », pour encore une fois nous prouver le machisme ambiant de la police qui pense que les femmes sont de petits êtres fragiles. Non, nous ne sommes pas en porcelaine et nous ne voulons pas être traitées différemment car nous sommes des femmes.
Nous sommes donc embarquées dans les fourgons une après l’autre, certaines reçoivent des délicats « Ah nan je veux pas de ces greluches dans mon fourgon, elles sont sales ! » ou d’autres se font traiter de « petasse ».
Ce même-jour à 13h avait lieux une manifestation contre l’actuel président du Congo où ont participer près de 200 congolais.e.s, un policier dit alors à une femme noire également arrêtée qu’elle s’est trompée de manifestation et que la sienne est à 13h » [3].
Aux casernes d’Etterbeek, nous avons été divisé-e-s entre hommes et femmes et nous sommes resté-e-s pendant 1h à 1h30 colsonné-e-s, assis-es par terre à la suite les un-e-s des autres sur un sol froid à attendre d’être emmené-e un-e à un-e. Il y avait une volonté manifeste d’obliger les gens à rester dans une position inconfortable.
Nous avons ensuite été emmené-e-s individuellement dans une pièce ou deux inspecteurs cagoulés ont pris les gens en photo sous toutes les coutures (sous la supervision de deux autres inspecteurs). Pour ce faire, ces inspecteurs ont prétendu à certain-e-s qu’iels étaient en arrestation judiciaire. Il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait uniquement d’une arrestation administrative. « Après les violences dans la rue, les mensonges, les insultes et le non-respect des procédures rendent légitime la question « qui nous protège de la police ? ». Dans ses prisons, la légalité bourgeoise montre toute son hypocrisie : les droits que l’on accorde aux interpellés ne sont que du crayon sur du papier, la volonté du policier est la seule loi ».
Continuer les mobilisations antifascistes
Il semble déjà que les violences, les coups, les intimidations sexuelles ou physiques, les insultes racistes, sexistes et homophobes aient déjà été balayés par les discours médiatiques et politiques. Déjà, les médias se sont fait le relais de la police et de la justice. L’indignation provoquée par la casse a surpassé la répression brutale des manifestant-e-s.
Mais la répression policière n’a qu’une seule source : la volonté politique de la bourgmestre d’Ixelles d’empêcher toute manifestation d’une campagne qui, semble-il, commence à déranger !
Le premier à en être incommodé semble être le pouvoir communal d’Ixelles, qui rappelons-le prétend à qui veut bien l’entendre qu’il ne peut rien faire alors que les agressions de migrant-e-s et de SDF sont avérées et que ces groupes possèdent un lourd passif de violences dans leurs pays respectifs. Cette incohérence, pointée par la campagne BZA, la Bourgmestre Defourny ne semble pas la porter fièrement. Les seconds sont les propriétaires du 22 Square de Meeûs, agacés de voir leur nom associé à des néo-nazis qu’ils abritent pourtant dans cet immeuble cosy, classé au patrimoine pour son style architectural et dont les appartements se vendent parfois à plus de 300 000 euros.
Sans pouvoir être qualifiée de réussite, cette mobilisation n’aura toutefois pas été veine. L’extrême droite a eu la plus grande peine à organiser son congrès. Elle n’a pas pu utiliser ses locaux, qu’elle paie pourtant à prix d’or dans un quartier bourgeois, et dont elle prétend faire le quartier général de ses activités. Au contraire, l’APF a dû s’exiler hors de son QG et a eu toutes les peines à trouver un lieu voulant bien accueillir son congrès. Nation qui organisait un « hommage » au tortionnaire coloniale Léopold II, a dû s’exiler à Namur et non à Bruxelles comme c’est le cas habituellement.
Les membres de Nation ont dû être mobilisés pour assurer le service d’ordre du congrès de l’APF, dirigé par les millionnaires italiens Roberto Fiore (pour la lutte contre le grand capital on repassera…). On sait désormais que Nation sert de milice et de service de gardiennage à l’APF, alors que sur le plan politique l’Alliance préfère collaborer avec le Vlaams Belang comme le prouve encore la visite de De Winter chez Aube Dorée en novembre 2016.
Les néo-nazis ont donc dû encore une fois se cacher sous la pression antifasciste. Bien sûr, nous n’avons pas réussi à bloquer le congrès qui a bien eu lieu. Ils ont également pu organiser un repas le soir sur la Grand Place dans la Brasserie la Chaloupe d’Or (le même restaurant qui avait accueilli le meeting du Vlaams Belang en avril 2014 alors que celui-ci était sur le point d’être annulé). Il nous faudra à l’avenir améliorer nos mobilisations et être plus efficace afin bloquer la montée de l’extrême droite et les empêcher de s’installer dans nos quartiers.
Cette répression ne fait que renforcer notre détermination et notre croyance dans la capacité populaire à faire fermer le local nazi, qui bénéficie de la complicité passive (et active dans certains cas) des autorités communales d’Ixelles depuis son ouverture. Ces autorités n’hésitent pas à protéger l’extrême droite néo-nazie alors que dans le même temps elles font arrêter brutalement 60 militant-e-s antifascistes