Quand le président de Nation rend hommage à un néofasciste négationniste

Ce 19 mars, Nation, comme à l’approche de chaque élection, publiait un article intitulé « Appel aux candidatures ! ». Objectif : motiver ses sympathisants à franchir le pas et à se présenter sur les listes électorales. « Nous cherchons des hommes et des femmes, prêtes à défendre nos idéaux comme candidats conseillers communaux. »

Les idéaux de Nation, son fondateur et dirigeant Hervé Van Laethem, les rappelait deux jours plus tôt, dans un article publié sur un site satellite de Nation, en faisant l’apologie de François Duprat à l’occasion des 40 ans de son assassinat.

Tout comme Jean-Marie Lepen qui fait son pèlerinage annuel sur sa tombe, le négationnisme et l’antisémitisme historiques d’Hervé Van Laethem n’ont pas résisté à l’occasion de participer à la continuité de la figure de martyr de Duprat !

Jean-Marie Lepen sur la tombe de François Duprat – 18 mars 2018

Et puisqu’il publie un article volontairement biaisé sur la vie, les idées et la mort de Duprat, et qu il tente, dans un même mouvement, de remettre ses militants dans la bonne ligne idéologique (ce qu’il fera également deux jours plus tard dans un article sur le Kurdistan (1)), nous allons rappeler quels idéaux les sympathisants de Nation sont conviés de défendre en se présentant aux élections.

Mais qui est donc François Duprat ?

Né en 1940 et politisé très tôt, il fait un bref passage dans l’extrême gauche trotskiste à 16 ans avant d’évoluer vers le nationalisme. Il s’engagea à Jeune Nation lors de la guerre d’Algérie, groupe d’extrême droite violent faisant partie de la galaxie OAS (dont il créa une section à Toulouse, ce qui lui valu d’être emprisonné). Il fût ensuite de toutes les aventures d’extrême droite (dont il se fera le plus souvent exclure) : la Fédération des étudiants nationalistes, Occident, Ordre Nouveau qu’il cofonda,.. avant d’atterrir au Front National.

À chaque fois, il imprimera son influence théorique sur ces groupuscules, jusqu’à devenir le véritable intellectuel organique de l’extrême droite. Professeur d’histoire, il dirigera aussi une multitudes de titres de presse militante qu’il utilisera comme arme idéologique dans sa famille politique.

Plus qu’un simple activiste adepte de la violence de rue, il était également un idéologue. Son anticommunisme viscéral (qui l’emmena au Nigeria et au Congo en plein décolonisation afin d’y aider le camp anticommuniste) n’avait d’égal que son profond antisémitisme : dans son esprit, les juifs colonisent et exploitent la France et le monde en général. Ils ont même monté le plus grand mythe de l’histoire : l’Holocauste. Pour lui, les Juifs auraient gagné la Seconde guerre mondiale à la fois pour la cause sioniste et pour la destruction des autres États et « races » afin d’instaurer leur domination planétaire.

En tant que premier diffuseur de journaux et revues négationnistes en France (2), en tant qu’éditeur de revues négationnistes, et en tant qu’auteur lui-même d’ouvrages négationnistes (3), il a joué un rôle important dans la mise en place d’une rhétorique négationniste et antisémite au sein de l’extrême droite française.

C’est en constatant et considérant que l’histoire est un instrument de combat politique qu’il décide de se placer sur ce terrain. Notamment en fondant la Revue d’Histoire du Fascisme, dont le but affirmé est de revisiter l’histoire et de la réécrire sous l’oeil nationaliste (4).
L’objectif avoué des revues éditées par François Duprat est de réhabiliter le fascisme. Et notamment au sein du Front National, qu’il rejoint dès le début de l’aventure (il s’en fera exclure puis sera réintégré).
C’est également lui qui conceptualisa la notion de Nationalisme Révolutionnaire, une actualisation du « fascisme mouvement ». C’est avec ce concept qu’en tant que néofasciste il incarnera et animera la branche radicale de Front National.

L’historien Nicolas Lebourg le présente comme « L’homme qui inventa le Front National » (5)!

En 1972, il réussit le tour de force de rassembler les différents groupuscules de l’extrême droite en un parti politique prêt à s’engager dans la bataille électorale. C’est lui qui propose le nom de ce nouvel acteur de l’arène démocratique : le Front National.

Si, avec ses qualités de tribun, Jean-Marie Le Pen s’affirme comme le leader du mouvement, Duprat lui chuchote dans l’ombre. Sous son influence, à partir de 1974 année où il rejoint le Bureau Politique du FN (dont il deviendra le numéro 2), le parti évolue dans sa stratégie et ses thèmes de campagne. Premier à amener la notion d’anti immigationnisme au sein de l’extrême droite, le conseiller politique oriente le discours du parti vers la dénonciation de l’immigration, l’objectif étant d’élargir l’audience du Front National en jouant sur les questions sociales et de chômage, donnant une cible aux milieux populaires : l’immigré. Le fameux slogan « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop » clamé par Jean-Marie Le Pen dès 1976 lui vient directement de François Duprat.

Fasciné par les services de renseignements, François Duprat joua lui-même double (triple?) jeu. Il est avéré qu’il émargeait aux Renseignements généraux où il informait son officier traitant des vicissitudes de sa famille politique (s’il a d’ailleurs été exclu d’Occident en 1967, c’est pour suspicion d’être indicateur de police). Des hypothèses quand à ses contacts avec les services secrets de l’Union soviétique sont également avancées. De nombreuses rumeurs courent quant à ses liens supposés avec d’autres services. Quoiqu’il en soit, il nageait en eaux troubles et ses actions avaient plusieurs dimensions, ses mots plusieurs sens.

Il semble également avoir été l’homme occulte chargé de financer des partis politiques (pas seulement le FN).

Quelles que soient les allégations d’Hervé Van laethem, les circonstances de sa mort dans l’entre deux tours des élections de 1978 n’ont jamais été élucidées, et ce malgré une enquête approfondie de 4 ans. Si Jean-Marie Lepen accusa directement l’extrême gauche, il se ravisera et laissera entendre plus tard que les auteurs pourraient être des membres d’un parti rival du FN, “Le Parti des forces nouvelles”. Les relations de François Duprat avec les services secrets comme ses liens avec les mouvements palestiniens et syriens pourraient également être en cause de l’attentat à la voiture piégée dont il fut victime en 1978.

Voici donc l’homme auquel Hervé Van Laethem rend l’hommage pour le 40ième anniversaire de sa mort.

 

Extrait de l’article d’Hervé Van Laethem – 17 mars 2018

« Duprat était des nôtres », répète-t-il plusieurs fois, se revendiquant de la continuité de sa lignée politique (Nation se revendique d’ailleurs National Révolutionnaire).

Mais il va plus loin, puisqu’il fait une présentation biaisée, aseptisée, de l’homme, tout en laissant paraître les idées qu’il veut faire passer :

– sous la plume d’Hervé Van Laethem les publications négationnistes de François Duprat deviennent des « ouvrages de références » (alors que Nation joue publiquement sur l’islamophobie pour se faire connaître et recruter, Hervé Van laethem, quant à lui, use de sa
posture d’autorité idéologique afin d’inciter à des lectures antisémites de « retour aux sources »)

« Sa formation d’historien et les nombreux ouvrages de référence dont il fut l’auteur » Extrait de l’article d’Hervé Van Laethem – 17 mars 2018

– il met les points sur le « i » et rappelle que Nation appartient au courant d’idées de François Duprat

« Car il est indispensable de se le rappeler : François Duprat était un des nôtres et il fut assassiné pour cela. » « ses assassins ne sont pas de la racaille de banlieue, mais bien ceux auxquels, certains de notre camp, essaient de faire aujourd’hui les yeux doux » « Et nous n’oublions pas non plus qui l’a assassiné ni pourquoi ! » « Une chose est sûre, en tous les cas : il aura fait école ! Notre existence et notre conception du monde en sont la preuve. ».Extrait de l’article d’Hervé Van Laethem – 17 mars 2018

– alors que l’enquête n’a jamais abouti, Hervé Van Laethem affirme que les auteurs de l’attentat contre François Duprat sont connus ; il va même plus loin en affirmant que les descendants idéologiques des auteurs intéressent certains militants nationalistes. Cet argument d’autorité ne pouvant avoir comme objectif que de resserrer les rangs et de se réaffirmer comme l’idéologue suprême de Nation face auquel on part ou on reste, mais on ne discute pas.
– en plus de connaître l’identité des auteurs, il affirme en connaître les motivations (Hervé sait tout)

Sources et pour aller plus loin :
– articles ici, ici et
web-documentaire

(1) Ce même 19 mars, Hervé signera d’ailleurs un autre article sur la situation des Kurdes, sur le site principal de Nation cette fois, au désir assumé de répondre à la dispersion des troupes : « Dans la mouvance « patriote » au sens large du terme, une nouvelle mode s’est créée : une sorte d’admiration sans borne pour les Kurdes au nom du fait que ces derniers se sont battus contre DAESH. Admiration particulière d’ailleurs pour leurs femmes soldats (ça marche toujours bien ça, les nanas en uniforme)
Ce qui démontre une fois de plus, qu’avoir comme seule idéologie l’islamophobie, permet de se faire manipuler sans vergogne. »

(2) Tels que « Le Mensonge d’Auschwitz » (Die Auschwitz Lüge) de l’ancien gardien du camp d’Auschwitz Thies Christophersen, « La mystification du vingtième siècle » d’Arthur Butz — livre paru aux États-Unis — ou encore la brochure Did Six Million Really Die? » de Richard E. Harwood (pseudonyme de Richard Verrall) sous le titre « Six millions de morts le sont-ils réellement ? », qui furent diffusés par le « service librairie » des Cahiers européens à partir de février 1976.
(3) Il a publié une « Histoire des SS » (Les Sept couleurs, 1967), ouvrage dont la quatrième de couverture présente l’auteur comme un historien appartenant à la « nouvelle école révisionniste » et qui, à ce titre, étudie la Seconde Guerre mondiale, en dénonçant « un certain nombre d’idées reçues », dont les chambres à gaz.
Il signe également, toujours en 1967, une contribution à la revue Défense de l’Occident de Maurice Bardèche intitulée « Le mystère des chambres à gaz ».
Il crée de nombreuses publications, dont la « Revue d’histoire du fascisme » et l’hebdomadaire « Les Cahiers européens », dont le service librairie diffuse également des livres négationnistes ou réhabilitant le Troisième Reich.
(4) En bon révisionniste, il essaye par exemple de réhabiliter Joachim Peiper, un officier SS condamné pour massacre de population lors de l’offensive des Ardennes (massacre de Baugnez). Duprat le qualifiera en 1976 de « soldat irréprochable, (de) soldat courageux ».
(5) Sous-titre de la biographie « François Duprat » par l’historien Nicolas Lebourg (chercheur à l’université de Perpignan, a consacré sa thèse de doctorat aux nationalistes-révolutionnaires) et le documentariste Joseph Beauregard.

 

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