À l’inverse des politicards, éditorialistes et autres flics, nous optons pour une lecture située depuis l’émeute. Si pour autant nous pouvons nous montrer à la fois solidaire et critique de ce qui s’est déroulé ce samedi, nous nous centrerons sur le traitement politique et médiatique post-émeute.
Avant-propos :
Une petite remise en contexte nous semble utile.
De manière intensifiée, les flics, militaires, éditorialistes et autres politicards nous présentent une zone du dehors, entre no-mans land et arrière base de l’ennemi intérieur fantasmé (comprenez le.a pauvre, l’immigré.e, le.a musulman.e,…).
Ce discours colporté inlassablement n’est pas qu’un simple effet d’annonce, il fut et continue à être un “dire-faire”. En effet ce discours est un acte, et non un simple discours. C’est que l’histoire fictive constamment racontée impacte sur le réel. Des experts, politicards, des milliers de brèves et unes de presse, émissions, livres, débats télévisés dans une course au sensationnalisme rajoutent du bruit au bruit, commentent les commentaires, alternent entre racolage et insulte raciste/classiste. Ce phénomène typique du discours de la crise, c’est-à-dire de la crise comme moyen de gouvernance, rend toute prise sur le réel compliquée, censurant par l’excès et excluant tout autre discours pour devenir ce discours minima à partir duquel tout peut commencer à être dit. En d’autres mots, la fiction est créée pour être la base sur laquelle une parole peut être entendue. Toutes les autres seront de facto disqualifiées.
Dans cet acte de guerre sociale qu’est la propagande politique, des mesures furent prise contre cette création qu’est l’ « ennemi intérieur ». Si les « bavures » (sic), les contrôles aux faciès, l’humiliation et le harcèlement des flics ne sont pas neuves, le plan canal fut une manœuvre guerrière d’une nouvelle audace. En effet, autant l’augmentation dans le territoire public des pratiques susmentionnées rendait, toujours actuellement, ce dernier dans un état d’occupation, d’un siège permanent de l’état; autant dans le territoire privé une nouvelle forme de stratégie de contrôle répressif s’institue depuis l’année passée : la volonté d’intrusion systématique et totale par la force des armes de l’ensemble des domiciles et lieux d’un territoire donné. Dans le cas de Molenbeek, qui est le premier acte de ce macabre théâtre, les chiffres informels datant déjà d’une année révélèrent : « 5000 contrôles de domiciles (8 % des habitant.e.s du quartier), presque 600 radiations (de chômage, de domiciliations, de CPAS), 37 retraits de passeports sur ordre direct de Jambon et 450 contrôles d’associations (dont une petite centaine dissoutes)… » (ici) Depuis, la machine est en marche puisque la politique du plan canal s’intensifie avec la volonté de continuer sur l’ensemble du territoire populaire bruxellois…
De la provocation policière à l’émeute :
C’est donc dans une lecture historique relativement courte, c’est-à-dire depuis au moins une, voire bientôt deux, décennies (selon les régions du monde et les opportunités saisies par le pouvoir) que nous nous plaçons. C’est à partir de l’institution contemporaine du discours de crise comme mode de gouvernance, qu’il faut comprendre les événements récents dont l’avant-propos n’est qu’une histoire partielle.
Si dans les premiers temps “post-émeutes”, des témoignages fleurissaient sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’utilisation de l’auto-pompe, de la matraque, de la lacrymo lors de ce rassemblement festif et familial suite à la victoire du Maroc, bien vite les images de pillage et de casse, et le discours sur le pillage, prirent le relaie. C’est une avalanche communicationnelle qui est lancée, il faut garder l’opinion chaude, appeler à la participation délatrice, construire et alimenter la fiction. Cette médiatisation a déplacé la question du traitement policier pour des motivations racistes lors du rassemblement à la bourse vers les discours sur l’insécurité par le biais de l’ethnicisation de personnes accusées de pillage.
Ce tour de passe-passe n’a pu fonctionner que par la communication politique, c’est-à-dire par le relayage jusqu’à l’absurde du moindre verbiage des politicards par les médias. Malgré les témoignages des personnes présentes (ici et là, attention facebook) qui expriment, quelques heures à peine après les événements, les premières provocations policières de par le dispositif de gestion mis en place, mais surtout l’assaut sans annonce ni distinction malgré la présence de famille, d’enfants. C’est ça l’événement. L’agence de presse Belga écrit 23 personnes blessées dont 22 policiers et tout le monde relaie. Personne ne demande la source de ces chiffres, personne ne traite les types de blessures et personne ne relève que ces chiffres sont tout bonnement impossibles… La fiction gonfle, c’est volontaire. Les témoignages ne seront plus audibles au profit des discours médiatisés.
L’état bourgeois repose sur deux fondements : “le gouvernement des meilleurs” et “la défense de la propriété privée”. En cela l’émeute est une de ses antithèses puisqu’elle est populaire et qu’elle s’attaque à la propriété. Si la réaction de l’état est aussi virulente, c’est pour cette raison idéologique : c’est bien l’idée de la propriété privée elle-même qui doit être défendue, non les possessions matérielles des personnes lésées dans les faits. Ça l’état s’en cogne. Lorsqu’on visibilise les seconds c’est pour défendre la première. L’état devait donc marquer le coup : toutes actions populaires s’attaquant au monopole de la violence étatique et à la propriété privée, s’attaquent aux fondements même de l’état. Peu importe si les faits furent mineurs, une telle offense ne pouvait rester sans réponse…
De l’émeute au discours sur l’émeute :
Une émeute est toujours un moment singulier, passionnant et passionnel, car il ouvre une brèche, une foule de potentialités sur l’événement en cours. Pour autant nous ne plaidons pas pour un romantisme niais de l’émeute ni n’ignorons les pertes matérielles pour des personnes précaires. Mais là n’est pas la question, là ne devrait pas être la question car c’est de l’hypocrisie, particulièrement à “gauche”. Les émeutes se multiplient, loin de s’en désoler et de chanter en chœur les cris sur les brebis égarées ou encore l’appel à la sécurité, il faut y reconnaitre une situation enfin conflictuelle, donc remplie de possibles. Ce n’est que pure logique, lorsque ton territoire est occupé, que l’insulte est à chaque une de presse, que l’intrusion s’incruste jusque dans ton intimité, où on t’impose comme identité “l’ennemi, la racaille ou le sauvage” ou pire encore “le bon assimilé” et lorsque même les rares perspectives de fête se voient violemment contrôlées et réprimées, l’émeute et ses élans sont le véritable moment de fête rageuse, de rupture et d’excès.
Le discours depuis les événements fut directement disqualifié par ce tour de passe-passe au profit d’un discours sur les événements. Déplacement qui permis de rendre inaudibles les témoignages directs au profit d’un langage médiatisé. Dès lors ce ne sont plus des personnes présentes, des pompiers voire même des flics, qui s’expriment à ce sujet mais le politicien, le journaliste, l’expert, les portes-parole des flics c’est-à-dire des professionnels de la communication, des professionnels de la production marchandisée de « l’information », qui n’étaient pas présents.
Nous avons donc entendu le syndicat libéral de flics s’exprimer sur la nécessité de la peur du flic, entendu une bonne partie des politicards flamands crier à l’autorité, les pontes du fédéral (Jambon, Francken et Michel) dans des déclarations guerrières et quelques rares élus bruxellois se plaignant d’un manque de moyens. La géographie de la dynamique communicationnelle n’est pas anodine dans la compréhension des événements. Dans un espace où la moitié de la niche électorale va pour les extrêmes-droites, N-VA et Belang en tête, les serviles vendeurs d’opinion peuvent se permettre de telles unes : « Appels à une répression dure » (De Standaard), « D’abord punir, et puis discuter » (Het Laatste Nieuws) ou encore « Il faut une prise en charge musclée. » (Het Nieuwsblad). Pour autant, et peu importe les “identités” fantasmées, le problème de racisme n’est pas circonscrit à la Flandre, loin de là. Par contre ce sont les dynamiques de pouvoir les plus virulentes qui se sont lancées dans le discours médiatique et les propositions répressives. Mais qu’est-ce que cela cache ?
Du discours sur l’émeute au traitement politique :
Les discours sur l’émeute usèrent de tout le vocable sécuritaire, appliquèrent les vieilles stratégies accusatoires pour développer leurs discours racistes sous couvert de « laxisme » et de « communautarisme », ravivèrent des peurs artificielles tenues en vie à force de perfusions médiatiques et politicardes. Le discours sur l’émeute en tant que discours de crise fut le déclencheur de l’opportunisme politique à des fins racistes, autoritaires et électoralistes, voilà où était le chausse-trappe.
Suite au premier tour de passe-passe, le sinistre Francken sort son joker qui occultera définitivement, malgré quelques timides tentatives associatives de revenir sur la gestion raciste d’un rassemblement populaire, le sujet. Afin de répondre aux émeutes, une police des illégaux sera utilisée pour créer davantage de confusion par la polémique. Deuxième détournement donc qui entraînera embrouillement et davantage de bruit jusqu’à ce jour. Les uns dénonçant les excès de la politique fédérale, les autres les soutenant à mi-mot et les derniers les soutenant vivement. Tout le débat est depuis lors focalisé sur les mesures autoritaires du gouvernement, occultant les violences policières racistes.
Du traitement politique à la répression juridique :
À l’annonce de cette première mesure, tout s’emballe : un échevin d’une des communes de Bruxelles demande 10.000 caméras au lieu de 1.500 actuellement, des bourgmestres exigent 400 policiers et 40 magistrats supplémentaires, le premier sinistre Michel annonce un nouveau ixième plan de sécurité, le sinistre de l’intérieur Jambon parle de « ramifications d’un cancer qu’il faut éradiquer » accusant « un certain type de jeune »,…
La propagande toujours active appelle à la délation citoyenne, des photos sont passées dans les JTs et la presse, des fil.le.s de Degrelle répondent, des personnes sont arrêtées et en cours de jugement. On communique même une mesure déjà en application comme nouvelle : toutes les violences sur des agents de police seront systématiquement traitées en correctionnelle.
En cette période de crise de la politique, nous concluons que le fascisme en Belgique est bel et bien présent. Il s’agit bien d’une nouvelle manœuvre dans la guerre sociale dont les effets s’appliquent déjà par l’intégration de la propagande d’État. Celle-ci piège des personnes en les invectivant à se justifier en tant qu’il.le.s sont marocain.e.s, c’est du racisme.
Des témoignages racontent qu’actuellement les flics contrôlent uniquement, du côté d’Anneessens, des jeunes parce qu’il.le.s ressemblent à un.e arabe, les photographiant tous.tes de manière indifférenciée, c’est du racisme.
Lorsque, suite aux discours, davantage de répression va naître en particulier sur les personnes considérées comme “ethniques”, c’est du racisme.
Dans une logique contraire, il serait souhaitable de donner du crédit aux témoignages des personnes présentes ; d’aller à la rencontre de certaines personnes ayant été le réceptacle de l’émeute ; d’exiger les preuves des données avancées par les médias de masse ; de refuser les détournements communicationnels en cours ; de s’opposer aux mesures liberticides annoncées et à ceux qui les produisent ; de participer à la manifestation « le tout sécuritaire n’est pas une solution » du samedi 2 décembre ; d’empêcher les fachos de faire ce qu’ils comptent faire à la manifestation « contre les violences urbaines » du 10 décembre ; de refuser la vindicte soi-disant populaire et de soutenir inconditionnellement les inculpé-e-s et les futurs incarcéré-e-s ; de partager les expériences de réaction face à la police et à ses stratégies ; enfin de, surtout, refuser l’injonction à se désolidariser mais au contraire de se rassembler entre personnes ayant vécu ce même événement pour en construire une toute autre narration. C’est par ce type de réactions et d’actions que le racisme et l’autoritarisme reculent.