Antifas, gilets jaunes et gants noirs

Sur “les” gilets jaunes, beaucoup se sont posé la question mi-novembre : Que faire ? Rester dans l’attentisme, voir si la « sauce » prend ? Condamner véhément cette mouvance en trouvant, relevant et en listant ses fautes ? Y participer directement en acceptant toutes les contradictions et dégueulasseries ? Y participer indirectement en trouvant certains espaces-temps dans la participation aux blocages ? S’en faire les soutiens extérieurs ? … Seule réponse correcte : aller voir par soi-même.

Note : les gants noirs sont le symbole politisant repris par les “collectifs rosa parks » qui avaient appelé (depuis longtemps) aux journées de mobilisations des 30 novembre et 1er décembre (en France et en Belgique).

Venu de la France, décrié pour un « crypto-fascisme » latent, des sympathies régulières envers les keufs et les militaires, un confusionnisme ou une (soi-disant) mécompréhension des enjeux écologiques ou politiques, un mouvement aux revendications (soi-disant) trop limitées voir de droite, le “mouvement” dit des « Gilets jaunes » a eu dès le départ un impact énorme : des miliers de lieux stratégiques et/ou symboliques bloqués et des centaines de milliers de personnes dans la rue, sans avoir été appelées par la CGT ou autre. Il est rare, très rare, d’être capables de se donner un rendez-vous massif sans ces appareils sclérosés et sans demander la permission à l’État. Ce n’est pas un hasard si ce mouvement explose pendant une période où les centrales syndicales refusent de mener les combats nécessaires contre les gouvernements Macron et Michel, malgré leurs attaques innombrables sur la population.

Dans une moindre mesure, le “mouvement” fait également parler de lui en Belgique. De nombreux blocages, un truc qui tente de tenir dans la durée malgré les difficultés et la répressoin, souvent une bonne ambiance autour du brasero, des liens forts qui se tissent, une sympathie d’une grande partie des personnes croisées, etc. CertainEs soutiennent, de manière critique ou non, généralement en ce sens : pour une fois que des personnes lambdas font quelque chose, pour les petites gens l’augmentation du prix de l’essence (dont taxe) est quelque chose de direct, significatif. Une réelle écologie, prônée par de nombreux mouvements de gauche depuis les années 1970 au moins, et non pas les fausses écologies bobo et/ou autoritaire à la mode, doit rappeler qu’on ne laissera pas le pouvoir utiliser cet enjeu majeur (bien réel et immensément important) pour justifier plus d’exploitation des masses au profit d’une minorité d’enrichis. Les gilets jaunes n’ont pas été assez naïves/fs pour croire à l’hypocrisie de l’argument écologiste, et tant mieux.

Des critiques similaires, bien que moindre et plus circonscrites, avaient existé également sur les mouvements des places (le mouvement dit « des indignéEs ») ou encore de « Nuit debout » ainsi que tous les succédanées qui, dans la continuité de l’Espagne ou de la France, se créèrent en Belgique. La lecture des « résultats » (sic) de ces mo(uve)ments peut être très partagée, voir même sévèrement et justement critiquée tout en reconnaissant l’idée d’avoir élargi des brèches, popularisé des formes d’actions directes et d’auto-organisation avec tous ses paradoxes, limites. Ces expériences nous ont rappelé que l’idée d’un mouvement « pur » n’a jamais été réaliste ni possible ni souhaitable. “Croire que la révolution sociale soit concevable sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira “Nous sommes pour le socialisme”, et qu’une autre, en un autre lieu, dira “Nous sommes pour l’impérialisme”, et que ce sera alors la révolution sociale ! Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.” Disait, à raison, cette raclure qu’était Lénine.

Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans un idéalisme du “peuple” et de sa “spontanéité”, qui serait par nature révolutionnaire. Le mouvement des gilets jaunes attire son lot de merde, d’agressions xénophobes et de tentatives de récupérations douteuses par des confusionnistes, voire des fafs qu’il s’agit de décrire, critiquer et virer.

En France, cela a atteint des sommets : il y a une multiplication de témoignages, de vidéos et d’articles relayant les violences racistes, sexistes et homophobes exercées ou subies (jusqu’à un travail de véritables collabos livrant des personnes clandestines à… l’état). En Belgique aussi, même si les cas où les gilets jaunes font (ou laissent faire) ces agressions sont proportionnellement moins nombreux. Est-ce qu’il y en a beaucoup plus que lors d’autres mouvements ou est-ce que les médias les relaient beaucoup plus ? Les nombreuses agressions sexistes et racistes lors des manifestations nationales syndicales à Bruxelles font couler moins d’encre. Ce qui est sûr c’est que le “mouvement” manque jusqu’à maintenant de réactivité par rapport à ces problèmes. Des portes-paroles autoproclamés, ou de simples “participantEs”, se sont empresséEs de condamner les “violences” après les affrontements avec la police, mais très peu ont eu la dignité de condamner publiquement les violences fascisantes… Ce qui est sûr c’est qu’ils et elles se sont trop peu opposéEs aux récupérations des organisations d’extrême-droite qui le revendiquent sans même plus avancer masquées. Heureusement il y a les gilets jaunes de Saint-Nazaire, de Rouen et surtout de la Réunion (colonie française) qui donnent l’exemple. Heureusement, il y a des personnes normalement constituées qui empêchent ces agressions sur les blocages en Belgique.

Les antifascistes, et les forces progressistes en général, doivent en tirer les conclusions, ce que la direction de la FGTB, par exemple, n’est pas prête à faire et on pouvait s’y attendre. Il est d’ailleurs très peu probable que la plupart des gilets jaunes soient au courant qu’une grève générale est organisée dans certaines parties de la Belgique ce 14 décembre. Il y a un gouffre. La conclusion c’est que si un mouvement social large peut banaliser à autant d’endroits différents autant de cas d’agressions entre pauvres, c’est que nous avons raté quelque-chose. C’est que certains ne semblent toujours pas avoir pris acte des conséquences de la banalisation de l’extrême-droite.

À Namur, Claude Gilles (ex-PP) a essayé – sans succès – de récupérer électoralement la mouvance. À Couvin, Nation est fier de mener le truc (avec un mec qui était 3e de liste pour le PTB… et oui, la révolution a ses limites et tant pis pour les personnes racisées qui auraient voulu y participer avec lui). À Liège, un xénophobe notoire (Max le Belge) en profite pour se faire connaitre avec des vidéos. Les opportunistes ne sont pas en reste, et c’est prévisible à chaque “mouvement” large. Y-a-t’il une véritable réception parmi les « gilets jaunes » de ces délires ? En partie, certainement à l’image de la multiplicité de la mouvance (différente de ville en ville, de blocage en blocage, de jour en jour).

L’antifascisme ne se fait pas que sur Internet, et dans la rue il ne se fait pas que entre nous ou uniquement contre les fachos organisés. L’antifascisme se fait surtout dans ces endroits et moments-là, de rencontres et de convergences/divergences. Il s’agit de s’y froter afin que cette mouvance soit plus accessible qu’actuellement pour les personnes racisées, considérées musulmanes ou non, homosexuelles ou non, etc. Voter “contre” Marine Le Pen et puis laisser ce genre de terrain aux extrêmes-droites, c’est on ne peut plus irresponsable.

Comme le dit le flyer de présentation du blog : “libérer le terrain des fascistes c’est permettre de lutter pour la liberté.”

En ce sens, on n’oubliera pas de rappeler que d’autres n’ont pas attendu les gilets jaunes pour enfiler les gant noirs et appeler à une journée de boycot “c’est sans nous” (le 30 novembre) suivie d’une journée de manifestation “c’est 100% nous!” (le lendemain). On remarquera aussi que c’est le Comité Adama qui a pris l’initiative d’appeler à rejoindre le mouvement des gilets jaunes pour le rendre encore plus fort et virer l’extrême-droite.

En ce sens, à samedi sur Bruxelles et partout ailleurs d’ici-là.

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